Je vivrai là
De quelle nature est notre attachement aux lieux, historique ou instinctive ?
Il est des lieux qui sont chargés et il m’est facile de me connecter immédiatement à une sensation de bien-être dans certaines maisons où j’ai vécu des moments heureux. Étaient-ils heureux du fait de cette magie que l’endroit dégageait ? Ou bien est-ce le lieu qui devenait magique parce qu’il incarnait l’image d’une vie joyeuse ? Personnellement, je penche pour la première option. Des ondes invisibles occupent l’espace.
Ne dit-on pas que certaines civilisations ont bâti des villes entières sur des sites aux vibrations telluriques fortes. Que cela nous paraisse infondé ou scientifiquement prouvé, je crois personnellement que la terre est chargée, qu’un jardin est habité et qu’une maison a une âme. On peut me taxer d’être un peu perchée, et je mets au défi quiconque de ne pas avoir déjà ressenti cette évidence qui nous enveloppe dans certains lieux.
Je crois d’ailleurs que cet instinct naturel est une forme d’écoute qu’il est possible de déployer plus facilement dans la nature. Pourtant ici, il est question de endroits ordinaires. Je sais presque immédiatement dire si là ou là je serai bien. J’ouvre simplement ce canal qui me relie à mon intuition profonde. Je n’ai pas de facultés particulières mais j’aime prêter attention aux signes.
J’écoute mes sensations qui sont souvent bien plus bavardes que moi.
Il y a 15 ans quand j’ai visité ma maison, j’ai su comme une évidence, et avant de passer le pas de la porte, que c’était elle. Je n’avais pas à la choisir, elle venait à moi. Tout s’alignait avec justesse et avant même d’y entrer le temps semblait avoir fait une sorte de rétropédalage. L’histoire était déjà écrite. Je vivrai là. Je vivrai tout court devrais-je dire !
Un nouvel espace à investir, c’est presque comme une naissance. Avec toute la folle impatience et le tourbillon d’un heureux évènement, l’ambivalence ressurgit nécessairement comme par contraste.
Le mouvement, le changement, l’inconnu, c’est l’occasion d’un nouvel équilibre et d’un déplacement des masses comme sur un balancier. Certaines forces glissent avec subtilité, d’autres écrasent comme la tectonique des plaques. Le séisme est violent, douloureux, angoissant, soudain et déstabilisant. La perte de nos repères et de nos ancrages nous met à nu. Et si ce nouvel espace accompagné de notre intuition première reste un tremplin vers un ailleurs, il bouscule aussi nos bases profondément. Le déménagement devient parfois traumatisant.
La transition qu’il nous oblige à vivre est chargée de symbolique. Nous voilà de nouveau face à ce point de bascule originel où nous avons quitté l’antre maternel pour naitre à la vie. Ces transitions jalonnent nos vies parfois dans un déni assourdissant.
À 7 ans j’ai traversé le couloir comme on traverse une frontière. J’ai quitté une grande chambre que je partageais dans une atmosphère de disputes permanentes et de tensions insupportables. Sans demander aucun aval parental, j’ai fui. J’ai pris mes affaires et j’ai migré de l’autre côté du palier dans une minuscule chambre inoccupée où il y avait juste la place pour un lit et soudain, mon monde a basculé.
Passée la déchirure, je me suis sentie soulagée, en sécurité comme dans un cocon. J’y ai aussi découvert la solitude et les questions existentielles ont commencé à surgir. J’avais 7 ans et j’allais vivre là 5 ans.